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L’homme pancarte [Histoire contée] [Dissociation]

Il était une fois, un homme qui pouvait parler à son intérieur et il était plutôt heureux de cette relation avec lui-même. Cette part lui échangeait quotidiennement de précieuses informations et fonctionnait comme une boussole pour lui, lui indiquant où regarder et vers où se diriger. Ils rencontraient parfois des problèmes de communications mais aucun qui ne pouvaient être résolus par l’écoute. Cependant, cet homme ne décidait pas où il vivait, et ce milieu se révélait très difficile et dangereux. La communication qu’il avait avec cette part de lui devenait de plus en plus difficile par toute la souffrance qu’elle lui communiquait continuellement. Il ressentait un désespoir très profond qui s’aggravait avec le temps.

Ne pouvant pas déménager et sortir de cette situation horrible, il décida de congédier cette part, de la forcer à déménager loin de lui. Ainsi, cette part sensible de lui partit en exil à des milliers de kilomètres de son habitat. L’homme avait alors beaucoup moins de souffrances et était soulagé, cette souffrance et cette impuissance étaient telle qu’il avait l’impression qu’elles auraient fini par le tuer ou le rendre fou.

En l’expédiant très loin son intérieur, cet homme s’était alors sauvé d’une mort quasi certaine. Avec une sensibilité intérieure absente, on ne pouvait plus lui briser le cœur, on ne pouvait plus lui infliger d’aussi grands malheurs, on ne pouvait plus le torturer intérieurement.

Puis les circonstances changèrent et il put enfin déménager. Il décida alors de déménager pour vivre dans sa propre maison. Cependant, il sentait bien que quelque chose n’allait pas dans sa maison. Quelque chose d’important manquait. Lui, ce manque ne l’impactait pas trop, mais c’est surtout les autres qui remarquaient que quelque chose lui manquait. Et eux-mêmes intrigués, essayaient de trouver ce qui pouvait bien manquer chez lui. Et cela ne convenait pas du tout à cet homme que des personnes recherchent ce qui pouvait manquer en lui. Il n’avait pas du tout envie qu’on puisse retrouver ce qui avait failli le tuer. Il ne voulait pas pouvoir être à nouveau tué, il en avait très peur, il préférait conserver l’exil d’un part de lui que risquer une nouvelle mort.

Mais les autres ne le comprenaient pas, ils voyaient uniquement un homme qui vivait dans sa propre maison, sans réel danger de mort apparent qui nécessiterait une si grande distance avec cette part de soi. Et parmi ces personnes, il y en a même qui désirait l’aimer, mais qui inlassablement échouaient, il manquait quelque chose.

Ce qui d’un côté était élan d’amour, de l’autre était perçu comme danger de mort. L’élan d’amour ne comprenait pas pourquoi il y avait cette rupture. L’autre, ne comprenaient pas pourquoi on pouvait désirer se connecter à lui, lui-même vivait très bien en étant étranger à lui-même, pourquoi d’autres pourraient-ils vouloir le rencontrer ?

Après tout c’était communiquer avec cette part sensible de lui, c’était pouvoir être sensible et aimer qui à une époque avait été une réelle menace de mort pour lui. Face à cette menace, il avait dû développer des moyens pour de se protéger.

Le meilleur moyen qu’il trouva fût de créer une pancarte de lui-même. Cette pancarte, il la plaçait devant sa maison, bien visible de tous. Elle était construite dans une forme humaine telle qu’elle bougeait avec le vent et pouvait simuler des mouvements pouvant s’apparenter à ceux d’un humain.
Ainsi il communiquait normalement avec les autres, et dès qu’on cherchait à rencontrer son intérieur, ils redirigeaient toutes ces personnes vers cette pancarte et s’enfuyait.

Il y avait des personnes qui voyaient bien ce manège et n’était pas dupes. Après quelques tentatives infructueuses, elles abandonnaient, car après tout on ne peut pas rencontrer l’intérieur d’une pancarte.

Cependant, il y avait des personnes qui n’arrivaient pas à voir que ce n’était plus lui mais bien une pancarte de lui-même. Et ces personnes essayaient, essayaient de le rencontrer, sans jamais y arriver. Elles vivaient un réel désespoir à ne pas réussir à le rencontrer, alors qu’il lui apparaissait être juste devant eux. Et elles essayaient tellement de tout leur cœur de le rencontrer, qu’elles se mirent à douter d’elles-mêmes. Peut-être c’était elles le problème, peut-être c’était elles qui étaient incapables de le rencontrer.

Elles ne voyaient que ce qu’elles recherchaient à rencontrer était en réalité à des milliers kilomètres, et que l’homme ne se rencontrait plus depuis bien longtemps. Comment peut-on rencontrer quelqu’un qui est absent à lui-même ?

Tout cela produisait de la souffrance, mais l’homme était aveugle à cette souffrance, car quand cela se produisait, il était déjà loin. Et ce qui lui aurait permis de comprendre cette souffrance était encore plus loin.

Et puis cette pancarte marchait plutôt bien dans la vie quotidienne, elle suivait aussi des règles précises : quand le soleil se levait, elle se levait, quand il se couchait, elle se couchait, la vie suivait son cours. Mais dans les situations plus subtiles, la pancarte avait des résultats beaucoup plus aléatoires. Quand quelqu’un pleurait auprès de lui, il pouvait arriver qu’un grand coup de vent emporte la pancarte et frappe la personne. Et quand quelqu’un venait et essayait de saboter sa maison en subtilisant des pierres, la pancarte restait parfois impassible et laissait faire vols et dégradations.

Cela aussi était générateur de souffrances pour lui, mais son intérieur était tellement loin, qu’il n’entendait pas ou seulement un faible écho lointain dont il ne soupçonnait pas le lien avec lui-même.

Et la plupart du temps, ce n’est que lorsque son intérieur a entassé une souffrance tellement grande à n’en être plus supportable, que la voix de son intérieur bourdonne continuellement dans ses oreilles, même en étant à des milliers de kilomètres, que l’homme va réellement se souvenir de cette part oubliée et sera prêt à la rechercher, car cette fois-ci, c’est ne pas aller la rechercher qui pourra causer sa mort.

L’homme pancarte, 17/02/22

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