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Deuil et ressuscitation de soi

On ne m’a pas nourri et ils ne le feront sûrement jamais
Mes espoirs sont déçus et je peux définitivement les ravaler
Ah que c’est dur j’ai l’impression que je vais m’effondrer
Mon manque intérieur se manifeste de plein fouet

Non on ne te nourrira pas on ne sait pas donner
Par contre si tu veux tu peux très bien nous donner
J’ai la bouche asséchée, un vide profond se met à se manifester
J’ai peur que de mon propre manque je sois définitivement aspiré

Vais-je pouvoir m’en remettre j’ai du mal à en être convaincu
Oui je sais je peux apprendre à être mon propre parent ou rencontrer des bonnes gens
Mais là j’ai du mal à avoir confiance face au vide béant
J’ai l’impression qu’il ne fait que grandir d’instant en instant même si je sais qu’il ne fait qu’enfin être vu

N’empêche que c’est percutant et que je suis sur le cul
Est-ce que je peux espérer me relever de cette chute qui toujours continue ?
Avant de penser à se relever il s’agit d’accompagner le mouvement actuel qui est voir la vérité nue
Que j’ai des manques énormes dont je ne m’étais pas préoccupé car je pensais qu’un jour ils s’en occuperaient

Et là ils m’ont clairement dit non non on a démissionné et puis on ne s’était jamais vraiment engagé
Et me revient alors en pleine face ce dont ni eux ni moi ne s’étaient jamais préoccupé
Ce n’est même pas des parts de moi qu’on a abandonné mais des parts qu’on n’a jamais laissé exister
Ni les bouts de pain ni le petit poucet n’ont pas eu à être semé rien n’est né

Ground zéro, à la limite on gronde pour que ça reste à zéro
Pas de naissance, pas de croissance, rien, c’est le calme plat, sont vides tous les pots
Rien n’a pu germer, le moindre début de croissance était balayé, la terre pauvre et sans rien de semé
Pas de moyen de s’aimer, rien pour exister, à peine de quoi subsister

Voilà ce que je découvre, des terres désolées qu’on n’a même pas eu à piller
Simplement à retirer au fur et à mesure tous ses nutriments pour n’avoir à rien arracher
C’est sûr vaut mieux une terre pauvre et non semée pour y dérouler son terrain de golf synthétique
C’est plus facile à trimbaler et ça fait économiser s’il n’y aucun désir qui peut de ce terrain pousser

Qu’il est dur le deuil de ce que l’on n’a même pas laissé naître
Une tristesse profonde sur laquelle on ne peut garder de témoignage
Il n’y a pas d’avant qui a été détruit qu’on pourrait faire réapparaitre
Il y a juste une non-histoire, c’est un deuil non pas de la destruction mais de l’absence d’apparition

Et celui-là on le voit difficilement venir, pas de poupée déchirée, pas de cicatrices marquées
Pas d’animal ou d’objets chéris tués, rien, aucune expérience passée sur laquelle on peut s’accrocher
Aucun signal qui ne nous dit « oui ton deuil mérite bel et bien d’exister vu le bon que tu as pu avant partager »
Cette part de nous n’a même pas eu le droit d’exister comment pouvait-on se doutait qu’on en était endeuillé ?

Pourtant la réalité est que bien des années après elle est en nous et véritablement activée
Elle hurle de douleur de l’espace qui lui a manqué pour ne serait-ce qu’exister
Il nous semble qu’elle pourrait tout notre être aspirer mais c’est juste qu’elle n’a jamais pu respirer
Elle ne cherche pas à nous désintégrer mais à dévorer goulument l’espace qu’il ne lui a jamais été donné

Elle ne veut pas notre mal on peut être rassuré, elle est juste affreusement affamée
Et oui en ce moment c’est sur notre cœur qu’elle est en train de puissamment tirer
Mais on peut bien lui permettre ça pour toute cette non-naissance qu’elle a dû endurer
On avait peur de disparaître mais elle souhaite juste goulûment paître ce qui lui a manqué

Un enfant qui aurait été affamé et enterré, est-ce qu’on lui en voudrait de vider nos placards lorsqu’on l’accueillerait dans notre foyer ?
On le laisse se remplir et on tolère le désordre qu’il pourrait engendrer car on sait les manques terribles qu’il a dû traverser
On l’accueille avec compassion et on se réjouit d’une chaleur supplémentaire dans notre foyer
On sait qu’il aura beaucoup de larmes à verser mais que la joie viendra bientôt aussi se déverser

On est ému que vienne nous rencontrer une part de nous que l’on ne savait même pas qu’elle aurait pu exister
Comme une mère qui n’aurait pas eu connaissance qu’elle avait portée et accouché
Mais pourtant son enfant est des années plus tard rentré à la maison et se nourrit de ce que l’on ne lui avait jamais donné
Et il a plein de choses à raconter et à vivre avec celle qui silencieusement l’a porté sans qu’il n’avait pu jamais être né.

Deuil et ressuscitation de soi, 22/09/22

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